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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


moins d’être un aveugle-né, comme Soubrany, Romme et Goujon, un fanatique dont les organes intellectuels sont aussi raidis que les membres d’un fakir, personne, dans la Convention, ne peut plus croire au Contrat social, au socialisme égalitaire et autoritaire, aux mérites de la Terreur, au droit divin des purs. Car il a fallu, pour échapper à la guillotine des purs, guillotiner les plus purs, Saint-Just, Couthon et Robespierre, le grand prêtre de la secte : ce jour-là, les Montagnards, en lâchant leur docteur, ont lâché leur principe, et il n’y a plus de principe ni d’homme auquel la Convention puisse se raccrocher ; en effet, avant de guillotiner Robespierre et consorts comme orthodoxes, elle a guillotiné les Girondins, Hébert et Danton, comme hérétiques. Maintenant « l’existence des idoles populaires et des charlatans en chef est irrévocablement finie[1] ». Dans le temple ensanglanté, devant le sanctuaire vide, on récite toujours le symbole convenu et l’on chante à pleine voix l’antienne accoutumée ; mais la foi a péri, et, pour psalmodier l’office révolutionnaire, il ne reste que les acolytes, d’anciens thuriféraires et porte-queues, des bou-

    soir, Gaudin, commissaire de la Trésorerie, rencontre le président du comité révolutionnaire de son quartier, excellent Jacobin, qui lui dit : « Eh bien ! qu’est-ce ? Robespierre hors la loi ! Est-ce possible ? Que veulent-ils donc ? Tout allait si bien ! » — (« Il est vrai, ajoute Gaudin, qu’il tombait régulièrement cinquante à soixante têtes par jour. ») — « Que veux-tu, lui répondis-je, il y a des gens qui ne sont jamais contents ! »

  1. Mallet du Pan, Mémoires, 11, 116 (Lettre du 8 janvier 1795). — Ib., Correspondance avec la cour de Vienne, I, 23, 25, 32, 34 (8 janvier 1795, sur les quatre partis qui composent la Convention).