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LA RÉVOLUTION


malgré le décret qui exclut des places présentes et futures tout parent d’un émigré et tout adversaire notoire du gouvernement, malgré la peur, la lassitude et le dégoût, malgré le petit nombre des votants, la rareté des candidats et le refus fréquent des élus[1], la nation exerce en somme la faculté de nommer, selon ses préférences, ses administrateurs et ses juges. — En conséquence, la très grande majorité des nouveaux administrateurs, au département, au canton, à la municipalité, et la très grande majorité des nouveaux juges, au civil, au criminel, au tribunal de paix, sont, comme le nouveau tiers de la Convention, des hommes estimés, purs d’excès, ayant gardé leurs espérances de 89, mais préservés dès l’abord ou guéris très vite de la fièvre révolutionnaire. Entre leurs mains, chaque décret de spoliation et de persécution s’amortit : on les voit, appuyés sur la volonté persistante et manifeste de leurs électeurs présents, résister aux commissaires du Directoire, à tout le moins réclamer contre les exactions et les brutalités, atermoyer en faveur des proscrits, émousser ou détourner la pointe de l’épée jacobine.

Et, d’autre part, le gouvernement qui tient cette épée

  1. Souvenirs et journal d’un bourgeois d’Évreux, 103, 106 : « La Constitution a été acceptée par un très petit nombre de citoyens ; car, dans la section du Nord, il ne se trouva que 150 votants tout au plus, tandis qu’il devait se trouver, d’après l’estimation, 1200 à 1500 votants (6 septembre 1795). » — « Le mardi 10 novembre, les assemblées des sections d’Évreux achevèrent leurs nominations du juge de paix et de ses assesseurs et de cinq officiers municipaux. La nomination fut très longue, car il y eut beaucoup de refusants. »