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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/426

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LA RÉVOLUTION


Sont-ce les Jacobins outrés, et, par un 9 thermidor retourné, mettront-ils les Jacobins mitigés « hors la loi » ? Sont-ce les Jacobins mitigés, et, par un 18 fructidor retourné, mettront-ils les Jacobins outrés sous les verrous ? Si l’un ou l’autre coup est tenté, réussira-t-il ? Et, s’il réussit, aura-t-on enfin un gouvernement stable ? — Siéyès sait bien que non ; il est prévoyant dans ses actes, quoique chimérique dans ses théories. Lui-même au pouvoir, directeur en titre, conseil et tuteur de la République intelligente contre la République stupide, il comprend que tous tant qu’ils sont, républicains des deux bandes, ils sont engagés dans une route sans issue[1]. Barras juge de même et prend les devants, tourne à droite, promet à Louis XVIII de coopérer à la restauration de la monarchie légitime ; en échange, il reçoit par lettres patentes, sa grâce entière, l’exemption de toute poursuite future, et la promesse de 12 millions. — Plus pénétrant, Siéyès cherche la force où elle est, dans l’armée ; il prépare Joubert, sonde Moreau, pense à Jourdan, à Bernadotte, à Macdonald, avant de se livrer à Bonaparte : « il lui faut une épée ». — Boulay de la Meurthe, comparant dans une brochure la Révolution d’Angleterre et la Révolution française, annonce et provoque l’établissement d’un protectorat militaire. —

  1. Gohier, Mémoires (conversation avec Siéyès à son entrée au Directoire) : « Nous voici, lui dit Siéyès, membres d’un gouvernement qui, nous ne pouvons le dissimuler, est menacé de sa chute prochaine. Mais, quand la glace se rompt, les pilotes habiles peuvent échapper à la débâcle. Un gouvernement qui tombe n’entraîne pas toujours dans sa perte ceux qui sont à sa tête. »