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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/430

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LA RÉVOLUTION


néfices de l’omnipotence, elle a combattu ses rivales par des élections contraintes, faussées ou cassées, par des complots et des trahisons, par des guets-apens et des coups de force, avec les piques de la populace, avec les baïonnettes des soldats ; ensuite elle a massacré, guillotiné, fusillé, déporté les vaincus, comme traîtres, tyrans ou rebelles, et les survivants s’en souviennent. Ils ont appris ce que durent leurs constitutions dites éternelles ; ils savent ce que valent leurs proclamations, leurs serments, leur respect du droit, leur justice, leur humanité ; ils se connaissent pour ce qu’ils sont, pour des frères Caïns[1], tous plus ou moins avilis et dangereux, salis et dépravés par leur œuvre : entre de tels hommes, la défiance est incurable. Faire des manifestes, des décrets,

    liberté, il n’y eut jamais dans les différents partis qu’une conception fondamentale, celle de s’emparer du pouvoir après l’avoir institué, de s’y affermir par tous les moyens, et d’en exclure le plus grand nombre pour le renfermer dans un Comité privilégié… Aussitôt qu’il avait broché ses articles de Constitution et saisi les rênes de l’État, le parti dominant conjurait la nation de s’en fier à lui, et ne doutait pas que la force de la raison ne produisît l’obéissance… Pouvoir et argent, argent et pouvoir, pour garantir leurs têtes et disposer de celles de leurs compétiteurs, tous les plans finissent là. Depuis les agitateurs de 1789 jusqu’aux tyrans de 1798, et de Mirabeau à Barras, chacun n’a travaillé qu’à s’ouvrir de force la porte des richesses et de l’autorité, et à la fermer sur soi. »

  1. Mallet du Pan, Ib., n° du 10 avril 1799. — Sur les Jacobins : « Les sources de leurs haines, le mobile de leurs fureurs, la cause de leurs coups d’État fut constamment la défiance dont ils étaient justement pénétrés les uns contre les autres… Des factieux immoraux par système, cruels par besoin et faux par prudence, s’attribueront toujours des intentions perverses. Carnot avoue qu’on n’eût pas compté dix membres de la Convention qui se crussent de la probité. »