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LA RÉVOLUTION


pier et de la grande épouvante[1] », rien de plus. Avec ses habitudes de patience, il subit le régime nouveau, comme il a subi le régime ancien, portant la dossée qu’on lui met sur les épaules, et pliant les épaules, crainte de pis. Souvent, il n’est maire ou agent national que malgré lui : on l’y a obligé[2] ; il aurait bien voulu se dispenser de la corvée. Car, par le temps qui court, la corvée est lourde : s’il exécute les décrets et arrêtés, il est certain de se faire beaucoup d’ennemis ; s’il ne les exécute pas, il est sûr d’aller en prison. Mieux vaudrait rester ou rentrer chez soi, Gros-Jean comme devant. Mais il n’a pas le choix : une fois nommé ou confirmé, il ne peut, sous peine de se rendre suspect, refuser ni se démettre, et il doit être marteau, pour ne pas être enclume. Vigneron, meunier, laboureur, carrier, il fonctionne donc à

  1. Dauban, la Démagogie en 1793, XII (Paroles de vieux paysans à M. Vatel, qui faisait à Saint-Émilion son enquête sur les derniers jours de Pétion, Guadet et Buzot).
  2. Archives nationales, D, § I, 5 (Pétition de Claude Defert, meunier, agent national de Turgy). — Quantité de maires, officiers municipaux, agents nationaux, administrateurs et notables de district et de département, dans la Marne et l’Aube, sollicitent leur remplacement, et Albert en oblige beaucoup à rester en place (Lettre collective de toute la municipalité de Landreville ; lettres de Charles, ouvrier carrier, maire de Trannes, d’Éligny, marchand boucher, d’un vigneron, officier municipal à Merrex, etc.). Celui-ci écrit : « La République est grande, généreuse ; elle ne veut pas que ses enfants se ruinent pour faire ses affaires ; elle entend, au contraire, que celles des places qui ne sont pas émolumentaires soient occupées par des individus qui aient de quoi vivre. » Un autre, Mageure, nommé maire de Bar-sur-Seine, écrit, le 29 pluviôse an III : « Je sais, dès hier, que quelques-uns de cette commune voudraient me procurer l’insidieux présent de la mairie », et, d’avance, il prie Albert de détourner de lui ce calice.