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LA RÉVOLUTION


« graduelles, de les payer comme des nourrices, par mois, sur une échelle proportionnée à l’activité de la guillotine ». — En tout cas, les forbans sont à l’aise, car ce commerce des vies et des libertés ne laisse point de traces, et se poursuit impunément pendant deux années, d’un bout de la France à l’autre, dans le silence concerté des vendeurs et des acheteurs.

Troisième aubaine, non moins large, mais plus étalée

    les citoyens suspects se rachetaient de la captivité, et les citoyens captifs se rachetaient de la guillotine… On traitait d’un cachot et du supplice comme on traite d’un achat de bétail dans une foire. » Ce trafic « se répétait dans toutes les villes, les bourgs, les départements livrés à des commissaires conventionnels et aux comités révolutionnaires… Il s’établit depuis le 10 août. Je ne citerai, parmi une infinité d’exemples, que le malheureux duc du Châtelet : jamais personne n’acheta son supplice plus chèrement. » — Wallon, Histoire du tribunal révolutionnaire, VI, 88 (Dénonciation contre Fouquier-Tinville, signée Saulnie). Selon Saulnie, Fouquier allait dîner habituellement deux fois par semaine, rue Serpente, n° 6, « chez Demay, se disant homme de loi, et vivant avec la fille Martin. Dans ce coupe-gorge, au milieu des orgies, on traitait impunément, à prix d’argent, de la liberté ou de la mort des incarcérés. Une seule tête de la maison Boufflers, échappée à l’échafaud par l’intrigue de ces vampires, leur a valu 30 000 livres… » — Morellet, Mémoires, II, 32. L’agent de mesdames de Boufflers était l’abbé Chevalier, qui jadis avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au Parlement, et qui, ayant renoué connaissance, venait boire avec Fouquier à la buvette. « Il obtenait que les papiers des dames de Boufflers, déjà prêts à être envoyés au tribunal, fussent remis au fond du carton. » — Mallet du Pan, Mémoires, II, 495. « Fouquier-Tinville avait une pension de 1000 écus par mois de mesdames de Boufflers, la pension augmentant d’un quart par mois en raison de l’atrocité des circonstances. Cette méthode a sauvé ces dames, tandis que ceux qui ont donné des sommes en bloc se sont perdus… C’est du Vaucel, fermier général, qui sauva la princesse de Tarente, moyennant 500 louis, après avoir sauvé deux autres femmes moyennant 300 louis donnés à l’un des Jacobins en chef. »