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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/111

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NAPOLÉON BONAPARTE


en user et abuser à discrétion, jusqu’à épuisement, sans en devoir compte à personne, il arrive, au bout de quelques années, à dire, aussi couramment et plus despotiquement que Louis XIV lui-même, « mes armées, mes flottes, mes cardinaux, mes conciles[1], mon sénat, mes peuples, mon empire ». — À un corps d’armée qui s’ébranle pour marcher au feu : « Soldats, j’ai besoin de votre vie et vous me la devez. » — Au général Dorsenne et aux grenadiers de la garde[2] : « On dit que vous murmurez, que vous voulez retourner à Paris, à vos maîtresses ; mais détrompez-vous, je vous retiendrai sous les armes jusqu’à quatre-vingts ans : vous êtes nés au bivac et vous y mourrez. » — Comment il traite ses frères et parents devenus rois, avec quelle raideur de main il leur serre la bride, par quels coups de cravache et d’éperons il les fait trotter et sauter à travers les fondrières, sa correspondance est là pour l’attester : toute velléité d’initiative, même justifiée par l’urgence imprévue et par la bonne intention visible, est réprimée comme un écart, avec une rudesse brusque qui plie les reins et casse les genoux du délinquant. À l’aimable prince Eugène, si obéissant et si fidèle[3] : « Si vous demandez à Sa Majesté

  1. Mémorial : « Si j’étais revenu vainqueur de Moscou, j’eusse amené le pape à ne plus regretter le temporel, j’en aurais fait une idole ;… j’aurais dirigé le monde religieux, ainsi que le monde politique… Mes conciles eussent été la représentation de la chrétienté, et le pape n’en eût été que le président. »
  2. Ségur, III, 312. (En Espagne, 1809.)
  3. Mémoires du grince Eugène. (Lettre écrite par Duroc sous la dictée de Napoléon et adressée au prince Eugène, 31 juillet 1805.)