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NAPOLÉON BONAPARTE


ongles, on sent la griffe. À Beugnot[1], qu’il vient de rudoyer horriblement, publiquement, injustement, avec conscience de son injustice et pour produire un effet sur l’assistance : « Eh bien ! grand imbécile, avez-vous retrouvé votre tête ? » Là-dessus, Beugnot, haut comme un tambour-major, se courbe très bas, et le petit homme, levant la main, prend le grand par l’oreille, « signe de faveur enivrante », dit Beugnot, geste familier du maître qui s’humanise. Bien mieux, le maître daigne chapitrer Beugnot sur ses goûts personnels, sur ses regrets, sur son envie de rentrer en France : « Qu’est-ce que je veux ? Être son ministre à Paris ? À en juger par ce qu’il a vu de moi l’autre jour, je n’y serais pas longtemps, je périrais à la peine avant la fin du mois. Il y a déjà tué Portalis, Crétet et jusqu’à Treilhard, qui pourtant avait la vie dure : il ne pouvait plus pisser, ni les autres non plus. Il m’en arriverait autant, sinon pis… « Restez ici… Après quoi, vous serez vieux ou plutôt nous serons tous vieux, et je vous enverrai au Sénat radoter à votre aise. » — Manifestement[2], « plus on approche de sa personne, plus la vie devient désagréable ». — « Admirablement servi, toujours obéi à la minute, il se plaît encore à laisser planer une petite terreur de détail sur l’intérieur le plus intime de son palais. »

    et alléguait son mérite : « Vous avez raison, dit l’Empereur ; il en avait quand je l’ai pris ; mais, à force de le bourrer, je l’ai abêti. »

  1. Beugnot, I, 456, 464.
  2. Mme de Rémusat, II, 272.