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LE RÉGIME MODERNE


bien, à partir de 1808, les peuples se lèvent contre lui : il les a froissés si à fond dans leurs intérêts et si à vif dans leurs sentiments[1], il les a tellement foulés, rançonnés et appliqués par contrainte à son service, il a détruit, outre les vies françaises, tant de vies espagnoles, italiennes, autrichiennes, prussiennes, suisses,

    tience du joug étranger, elle est encore plus dans le malheur des temps, dans la ruine totale de toutes les classes, dans la surcharge des impositions, contributions de guerre, entretien des troupes, passage des soldats et vexations de tout genre continuellement répétées… À Hanovre, Magdebourg et dans les principales villes de mon royaume, les propriétaires abandonnent leurs maisons et chercheraient vainement à s’en défaire au prix le plus vil… Partout la misère accable les familles ; les capitaux sont épuisés ; le noble, le paysan, le bourgeois, sont accablés de dettes et de besoins… Le désespoir des peuples, qui n’ont plus rien à perdre parce qu’on leur a tout enlevé, est à craindre. » — Abbé de Pradt, 73 (Spécimen des procédés soldatesques en pays allié). À Wolburch, dans le château de l’évêque de Cujavie, « je trouvai son secrétaire, chanoine de Cujavie, décoré du cordon et de la croix de son chapitre, qui me montra sa mâchoire fracassée par les larges soufflets que lui avait appliqués la veille M. le général comte Vandamme, pour un relus de vin de Tokai que le général demandait impérieusement et que le chanoine refusait, en disant que le roi de Westphalie avait logé la veille dans le château et avait fait charger ce vin en totalité sur ses chariots ».

  1. Fiévée, Correspondance et relations avec Bonaparte de 1802 à 1813, III, 182 (décembre 1811). (Sur les peuples réunis ou conquis) : « On n’hésite pas à leur ôter leur patrie, leur langage, leur législation, à les tourmenter dans toutes leurs habitudes, et cela sans autre effort que de leur jeter à la tête un Bulletin des lois (inapplicable)… Comment veut-on qu’ils s’y reconnaissent, quand même ils s’y résigneraient de cœur ?… Est-il possible de ne pas sentir à toute minute qu’on n’est plus de son pays dans son pays, que tout vous contraint, vous blesse et vous humilie ?… On a fait la Prusse et une partie de l’Allemagne si pauvres, qu’il y a plus de profit à prendre une fourche pour tuer un homme que pour remuer du fumier. »