Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
NAPOLÉON BONAPARTE


œuvres de contrainte ; nulle autre perspective pour un homme inculte ou cultivé ; nulle autre carrière, militaire ou civile, qu’une faction prolongée, menacée et menaçante, en qualité de soldat, douanier ou gendarme, en qualité de préfet, sous-préfet ou commissaire de police, c’est-à-dire en qualité de sbire et tyranneau subalterne, pour contenir des sujets et lever des contributions, pour confisquer et brûler des marchandises, pour empoigner des fraudeurs et faire marcher des réfractaires. De ces réfractaires, en 1810[1], on en compte déjà 160 000 con-

    vantes : « Dans cette année 1813, du 11 janvier au 7 octobre, 840 000 hommes avaient déjà été exigés de la France impériale, et il avait fallu les livrer. » — Autres décrets en décembre mettant à la disposition du gouvernement 300 000 conscrits sur les années 1806 à 1814 inclusivement. — Autre décret en novembre pour organiser en cohortes 140 000 hommes de la garde nationale, destinés à la défense des places fortes. — En tout, 1 300 000 hommes appelés en un an. « Jamais on n’a demandé à aucune nation de se laisser ainsi volontairement conduire en masse à la boucherie. » — Ib., III, 489. Sénatus-consulte et arrêté du conseil pour lever 10 000 jeunes gens exempts ou rachetés de la conscription, au choix arbitraire des préfets, dans les classes les plus élevées de la société. L’objet visible de la mesure « était de lever des otages dans toutes les familles dont la fidélité pouvait être douteuse. Nulle mesure plus que celle-là n’a fait des ennemis plus irréconciliables à Napoléon. » — Cf. Ségur, II, 35. (Il fut chargé d’organiser et de commander une division de ces jeunes gens.) Plusieurs étaient des fils de Vendéens ou de conventionnels, quelques-uns arrachés à leur femme le lendemain de leur mariage, ou au chevet d’une femme en couches, d’un père agonisant, d’un fils malade ; « il y en avait de si faible complexion, qu’ils semblaient mourants ». — La moitié périt dans la campagne de 1814. — Correspondance, lettre au ministre de la guerre, Clarke, 23 octobre 1813 (au sujet des nouvelles levées) : « Je compte sur 100 000 conscrits réfractaires. »

  1. Archives nationales, AF, IV, 1297 (Pièces 206 à 210). (Rapport à l’Empereur par le directeur général des revues de la conscription, comte Dumas, 10 avril 1810.) Outre les 170 millions