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NAPOLÉON BONAPARTE


s’était réfugiée, « où les haines et les vengeances s’étendaient jusqu’au septième degré, où l’on évaluait dans la dot d’une jeune fille le nombre de ses cousins, j’étais fêté, bienvenu, et l’on se fût sacrifié pour moi ». Devenu Français par contrainte, transplanté en France, élevé aux frais du roi dans une école française, il se raidissait dans son patriotisme insulaire et louait hautement le libérateur Paoli, contre lequel ses parents s’étaient déclarés. « Paoli, disait-il à table[1], était un grand homme, il aimait son pays, et jamais je ne pardonnerai à mon père, qui a été son adjudant, d’avoir concouru à la réunion de la Corse à la France ; il aurait dû suivre sa fortune et succomber avec lui. » — Pendant toute son adolescence, il demeure antifrançais de cœur, morose, aigri, « très peu aimant, peu aimé, obsédé par un sentiment pénible », comme un vaincu toujours froissé et contraint de servir. À Brienne, il ne fréquente pas ses camarades, il évite de jouer avec eux, il s’enferme pendant les récréations dans la bibliothèque, il ne s’épanche qu’avec Bourrienne et par des explosions haineuses : « Je ferai à tes Français tout le mal que je pourrai. » — « Corse de nation et de caractère, écrivait son professeur d’histoire à l’École militaire[2], il ira loin si les cir-

    trouvèrent l’acte très juste et dans les règles. » — Ib., I, 143 : « Quand je me rendis de Bastia à Ajaccio, les deux principales familles du lieu, les Peraldi et les Vivaldi, se tirèrent des coups de fusil pour se disputer l’honneur de me loger. »

  1. Bourrienne, Mémoires, I, 18, 19.
  2. Ségur, Histoire et Mémoires, I, 74.