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LE RÉGIME MODERNE


l’on retourne l’animal comme un gant, il continue à vivre ; devenue interne, sa peau fait l’office d’estomac ; devenu externe, son sac digestif fait l’office d’enveloppe. Mais, plus on monte, plus les organes, compliqués par la division et la subdivision du travail, divergent, chacun de son côté, et répugnent à se remplacer l’un l’autre ; chez un mammifère, le cœur n’est plus bon qu’à pousser le sang, et le poumon qu’à rendre au sang de l’oxygène ; impossible à l’un d’eux de faire l’ouvrage de l’autre ; entre les deux domaines, la structure trop particulière du premier et la structure trop particulière du second interposent une double barrière infranchissable. — Pareillement enfin, au plus bas de l’échelle sociale, plus bas que les Andamans et les Fuégiens, on entrevoit une humanité inférieure, où la société n’est qu’un troupeau ; à l’intérieur du troupeau, point d’associations distinctes en vue de buts distincts ; il n’y a pas même de famille, au moins permanente ; nul engagement mutuel du mâle et de la femelle, rien que la rencontre des sexes. Par degrés, dans cet amas d’individus tous égaux et semblables, des groupes partiels s’ébauchent, se forment et se séparent : on voit apparaître des parentés de plus en plus précises, des ménages de plus en plus fermés, des foyers de plus en plus héréditaires, des équipes de pêche, de chasse ou de guerre, de petits ateliers de travail ; si le peuple est conquérant, il s’établit des castes. À la fin, dans le corps social élargi et profondément organisé, on trouve des communes, des provinces, des églises, des hôpitaux, des écoles, des