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LE RÉGIME MODERNE


toile, et la concordance instinctive de leurs efforts héréditaires avait suspendu tous les fils de la trame à l’omnipotence du roi. — Étant jurisconsultes, c’est-à-dire logiciens, ils avaient besoin de déduire, et toujours leurs mains remontaient d’elles-mêmes vers le principe unique et rigide auquel ils pouvaient accrocher leurs raisonnements. — Comme avocats et conseillers de la couronne, ils épousaient la cause de leur client, et, par zèle professionnel, ils étiraient ou tordaient à son profit les précédents et les textes. — En qualité d’administrateurs et de juges, la grandeur de leur maître faisait leur grandeur propre, et l’intérêt personnel leur conseillait d’élargir une prérogative à laquelle, par délégation, ils avaient part. — C’est pourquoi, quatre siècles durant, ils avaient tissé le filet « des droits régaliens[1] », le

  1. Guyot, Répertoire, article Régales : « Les grandes régales, majora regalia, sont celles qui appartiennent au roi, jure singulari et proprio, et qui sont incommunicables à autrui, attendu qu’elles ne peuvent être séparées du sceptre, étant des attributs de la souveraineté, comme… de faire des lois, de les interpréter ou changer, de connaître en dernier ressort de tous les jugements de tous les magistrats, de créer des offices, faire la guerre ou la paix,… faire battre monnaie, en hausser ou baisser le titre ou la valeur, mettre des impositions sur les sujets, les ôter ou en exempter certaines personnes, donner des grâces ou abolitions pour crimes,… faire des nobles, ériger des ordres de chevalerie et autres titres d’honneur, légitimer des bâtards,… fonder des Universités,… assembler les États généraux ou provinciaux, etc. » — Bossuet. Politique tirée de l’Écriture sainte : « Tout l’État est dans la personne du prince ; en lui est la puissance, en lui est la volonté de tout le peuple. » — Louis XIV, Œuvres, I, 58 (à son fils) : « Vous devez être persuadé que les rois ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par les gens d’église que par les séculiers, pour en user en tout temps