Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


privilèges qui, une fois conférés moyennant finance, devenaient la propriété légale[1], souvent héréditaire et transmissible, de l’individu ou du corps qui les avait payés ; de cette façon, le roi aliénait au profit de l’acheteur une parcelle de sa royauté. Or, en 1789, il avait aliéné quantité de ces parcelles : partant son autorité présente était restreinte par l’usage antérieur qu’il en avait fait. — Ainsi, entre ses mains, la souveraineté avait subi le double effet de ses origines historiques et de son exercice historique ; la puissance publique n’était pas devenue ou avait cessé d’être l’omnipotence. D’une part, elle n’avait pas atteint la plénitude ; d’autre part, elle s’était retranché elle-même une portion de son ampleur.

À cette double infirmité, innée et acquise, les philosophes avaient voulu remédier, et, pour cela, ils avaient transporté la souveraineté hors de l’histoire, dans le monde idéal et abstrait, dans une cité imaginaire d’hommes réduits au minimum de l’homme, infiniment simplifiés, tous semblables, égaux, détachés de leur milieu et de leur passé, véritables pantins qui levaient la main, du même geste rectiligne, pour voter à l’unanimité le contrat social. Dans ce contrat, « toutes les clauses se ramènent à une seule[2], savoir l’aliénation

  1. La Révolution, tome VIII, 160. — L’Ancien Régime, tome I, 25n (Discours de l’avocat général Séguier, 1775) : « Nos rois ont déclaré eux-mêmes qu’ils sont dans l’heureuse impuissance de porter atteinte à la propriété. »
  2. Textes de Rousseau dans le Contrat social. — Sur le sens et les conséquences de ce principe, cf. L’Ancien Régime, II, 65 et suivantes, et la Révolution, tome VII, livre II, chap. i.