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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


sonneur novice, pour l’ancien sujet, corvéable et taillable, auquel le principe conférait une part de la souveraineté, la tentation était trop forte. — Aussitôt, selon leur coutume, les légistes s’étaient mis au service du nouveau règne ; d’ailleurs, aucun dogme ne convenait mieux à leur instinct autoritaire ; aucun axiome ne leur fournissait un point d’appui si commode, pour y attacher et faire tourner leur rouet logique. Ce rouet, qu’ils manœuvraient avec des précautions et des ménagements dans les derniers temps de l’ancien régime, avait soudain roulé sous leurs mains avec une vélocité et une efficacité effrayantes, pour convertir en lois positives, rigides, universelles et appliquées, les procédés intermittents, les prétentions théoriques et les pires précédents de la monarchie, je veux dire l’emploi des commissions extraordinaires, les accusations de lèse-majesté, la suppression des formes légales, la persécution des croyances religieuses et des opinions intimes, le droit de censure sur les écrits et de contrainte sur la pensée, le droit d’enseignement et d’éducation, les droits de préemption, de réquisition, de confiscation et de proscription, bref l’arbitraire pur et parfait. On a vu leur œuvre, l’œuvre des Treilhard, des Berlier, des Merlin de Douai, des Cambacérès, à la Constituante, à la Législative, à la Convention, sous le Directoire, leur zèle jacobin ou leur hypocrisie jacobine, leur talent pour re-

    jours coupable, eût-elle raison moralement. Il ne faut que du sens commun pour sentir cette vérité-là… La nation (a) le pouvoir indiscutable de perdre même, un innocent. » (Nuits de Paris, XVe nuit, 377.)