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LE RÉGIME MODERNE


connue par sa beauté, son esprit et la vivacité de ses opinions, « il se plante droit comme le plus raide des généraux allemands, et lui dit : « Madame, je n’aime pas que les femmes se mêlent de politique. » — Toute égalité, toute familiarité, laisser-aller ou camaraderie s’enfuit à son approche. Dix-huit mois auparavant, quand on l’a nommé général en chef de l’armée d’Italie, l’amiral Decrès[1], qui l’a beaucoup connu à Paris, apprend qu’il passe à Toulon : « Je m’offre aussitôt à tous les camarades pour les présenter, en me faisant valoir de ma liaison ; je cours plein d’empressement et de joie ; le salon s’ouvre ; je vais m’élancer, quand l’attitude, le regard, le son de voix suffisent pour m’arrêter. Il n’y avait pourtant en lui rien d’injurieux, mais c’en fut assez ; à partir de là, je n’ai jamais tenté de franchir la distance qui m’avait été imposée. » Quelques jours plus tard[2], à Albenga, les généraux de division, entre autres Augereau, sorte de soudard héroïque et grossier, fier de sa haute taille et de sa bravoure, arrivent au quartier général très mal disposés pour le petit parvenu qu’on leur expédie de Paris ; sur la description qu’on leur en a faite, Augereau est injurieux, insubordonné d’avance : un favori de Barras, le général de Vendémiaire, un général de rue, « point encore d’action pour lui[3], pas un ami, regardé comme un ours, parce qu’il est toujours seul à pen-

  1. Stendhal (Mémoires sur Napoléon), récit de l’amiral Decrès. — Même récit dans le Mémorial.
  2. Ségur, I, 193.
  3. Rœderer, Œuvres complètes, II, 560. (Conversation avec le