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NAPOLÉON BONAPARTE


« nique des pachas. J’arrive à Constantinople avec des masses armées ; je renverse l’empire turc ; je fonde dans l’Orient un nouvel et grand empire, qui fixera ma place dans la postérité, et peut-être je retournerai à Paris par Andrinople ou par Vienne, après avoir anéanti la maison d’Autriche. » — Devenu consul, puis empereur, il se reportera souvent vers cette époque heureuse[1] où, « débarrassé des freins d’une civilisation gênante », il pouvait imaginer et construire à discrétion. « Je créais une religion ; je me voyais sur le chemin de l’Asie, monté sur un éléphant, le turban sur ma tête, et dans ma main un nouvel Alcoran que j’aurais composé à mon gré. » — Confiné en Europe, il songe, dès 1804, à y refaire l’empire de Charlemagne. « L’empire français deviendra la mère patrie des autres souverainetés… Je veux que chaque roi d’Europe soit

  1. Mme de Rémusat, I. 274. — Comte de Ségur, II, 459 (Paroles de Napoléon la veille de la bataille d’Austerlitz) : « Oui, si je m’étais emparé d’Acre, je prenais le turban, je faisais mettre de grandes culottes à mon armée ; je ne l’exposais plus qu’à la dernière extrémité, j’en faisais mon bataillon sacré, mes immortels. C’était par des Arabes, des Grecs, des Arméniens que j’eusse achevé la guerre contre les Turcs. Au lieu d’une bataille en Moravie, je gagnais une bataille d’Issus, je me faisais empereur d’Orient, et je revenais à Paris par Constantinople. » — Abbé de Pradt, 19 (Paroles de Napoléon à Mayence, en septembre 1804) : « Il n’y a plus rien à faire en Europe depuis deux cents ans ; ce n’est que dans l’Orient qu’on peut travailler en grand. » — Mes souvenirs sur Napoléon, 226, par le comte Chaptal : « Après le traité de Tilsitt, un de ses ministres le félicitait et lui observait que ce traité le rendait maître de l’Europe. Napoléon lui répondit : « Et vous aussi, vous êtes du peuple. Je ne serai maître que lorsque j’aurai signé le traité à Constantinople, et ce traité que je viens de signer me retarde d’un an. »