et sa signature elle-même est un barbouillis. — Il dicte donc, mais si vite, que ses secrétaires peuvent à peine le suivre ; dans les premiers jours de leur office, ils suent à grosses gouttes, et ne parviennent pas à noter la moitié de ce qu’il a dit. Il faut que Bourrienne, Meneval et Maret se fassent une sténographie ; car jamais il ne répète une seule de ses phrases ; tant pis pour la plume, si elle est en retard ; tant mieux pour la plume, si une bordée d’exclamations et de jurons lui donne un répit pour se rattraper. — Nulle parole si jaillissante et déversée à si grands flots, parfois sans discrétion ni prudence, lors même que l’épanchement n’est ni utile ni digne : c’est que son âme et son esprit regorgent ; sous cette poussée intérieure, l’improvisateur et le polémiste en verve[1] prennent la place de l’homme d’affaires et de l’homme d’État. « Chez lui, dit un bon observateur[2], parler est le premier besoin, et sûrement il met au premier rang des prérogatives du rang suprême de ne pouvoir être interrompu et de parler tout seul. » Même au Conseil d’État, il se laisse aller, il oublie l’affaire qui est sur le tapis, il se lance à droite, à gauche, dans une digression, dans une démonstration, dans
- ↑ Par exemple, à Bayonne et à Varsovie (abbé de Pradt) ; la scène outrageante et inoubliable qu’il fait, à son retour d’Espagne, à M. de Talleyrand (Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, II, 365) ; l’insulte gratuite qu’il jette à la face de M. de Metternich, en 1813, comme dernier mot de leur entrevue (Souvenirs du feu duc de Broglie, I, 230). — Cf. ses confidences non moins gratuites et risquées à Miot de Melito en 1797, et ses cinq conversations avec sir Hudson Lowe, rédigées aussitôt après par un témoin, le major Gorrequer (W. Forsyth, I, 147, 161, 200).
- ↑ Abbé de Pradt, préface x.