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NAPOLÉON BONAPARTE


avec une servilité byzantine. — De la part des républicains, nulle résistance ; au contraire, c’est parmi eux qu’il a trouvé ses meilleurs instruments de règne, sénateurs, députés, conseillers d’État, juges, administrateurs de tout degré[1]. Tout de suite, sous leurs prêches de liberté et d’égalité, il a démêlé leurs instincts autoritaires, leur besoin de commander, de primer, même en sous-ordre, et par surcroît, chez la plupart d’entre eux, les appétits d’argent ou de jouissance. Entre le délégué du Comité de Salut public et le ministre, préfet ou sous-préfet de l’Empire, la différence est petite : c’est le même homme sous deux costumes, d’abord en carmagnole, puis en habit brodé. Si quelque puritain, pauvre

  1. Cf. la Révolution, VI, 143 (Note I, sur la situation, en 1806, des conventionnels qui ont survécu à la Révolution). Par exemple, Fouché est ministre, Jeanbon-Saint-André préfet, Drouet (de Varennes) sous-préfet, Chépy (de Grenoble) commissaire général de police à Brest ; 131 régicides sont fonctionnaires ; parmi eux, on rencontre 21 préfets et 42 magistrats. — Quelquefois le hasard d’un document conservé permet de saisir le type sur le vif. (Bulletins hebdomadaires de la censure, années 1810 et 1814, publiés par M. Thurot, dans la Revue critique, 1871) : « Saisie de 240 exemplaires d’un ouvrage obscène, imprimé pour le compte de M. Palloy, qui en était l’auteur. Ce Palloy eut quelque célébrité pendant la Révolution ; c’était un des fameux patriotes du faubourg Saint-Antoine. L’Assemblée Constituante lui avait concédé la propriété des terrains de la Bastille, dont il envoyait des pierres à toutes les communes. — C’est un bon vivant qui a jugé à propos d’écrire, en très mauvais style, l’histoire fort sale de ses amours avec une fille du Palais-Royal. Il a consenti gaiement à la saisie, moyennant quelques exemplaires qu’on lui a laissés de sa joyeuse œuvre. Il professe une haute admiration et un vif attachement pour la personne de Sa Majesté, et il exprime ses sentiments d’une manière assez piquante, en style de 1789. »