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NAPOLÉON BONAPARTE


« étiez de ces imbéciles qui croyaient à la liberté ? — Oui, sire, j’étais et je suis encore de ceux-là. — Et vous avez travaillé à la Révolution, comme les autres, par ambition ? — Non, sire, et j’aurais bien mal calculé, car je suis précisément au même point où j’étais en 1790. — Vous ne vous êtes pas bien rendu compte de vos motifs ; vous ne pouviez pas être différent des autres ; l’intérêt personnel est toujours là. Tenez, voyez Masséna ; il a acquis assez de gloire et d’honneurs ; il n’est pas content, il veut être prince, comme Murat et Bernadotte ; il se fera tuer demain pour être prince ; c’est le mobile des Français. » — Là-dessus, son système est fait ; les témoins compétents et qui l’ont fréquenté de plus près constatent son parti pris. « Ses opinions sur les hommes, écrit M. de Metternich[1], se concentraient dans une idée qui, malheureusement pour lui, avait acquis dans sa pensée la force d’un axiome : il était persuadé que nul homme appelé à paraître sur la scène publique, ou engagé seulement dans les poursuites actives de la vie, ne se conduisait et ne pouvait être conduit que par l’intérêt. » Selon lui, on tient l’homme par ses passions égoïstes, par la peur, la cupidité, la sensualité, l’amour-propre, l’ému-

    ami. Il regardait les hommes comme une vile monnaie ou comme des instruments. »

  1. M. de Metternich, Mémoires, I, 241. — Mme de Rémusat, I, 93 : « Cet homme a été si assommateur de toute vertu… » — Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, 4e partie, ch. XVIII (Conduite de Napoléon avec M. de Melzi, pour le perdre dans l’opinion, à Milan, en 1805).