Page:Taine - Notes sur Paris, 1893.djvu/15

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plus libre ; en attendant, le lecteur regrettera que, dans ce dernier office, son crayon n’ait pas suppléé à l’insuffisance de ma main.

J’ai passé souvent la soirée avec M. Graindorge, et je me suis toujours plu à sa conversation. Son érudition était ordinaire, mais il avait voyagé et son esprit était bien approvisionné de faits. D’ailleurs, il n’était ni pédant ni prude, et le café qu’on buvait chez lui était exquis. Ce que j’aimais surtout en lui, c’était son goût pour les idées générales ; il y arrivait naturellement, et peut-être le lecteur parisien jugera qu’il y inclinait trop. Je ne sais s’il était goûté dans le monde ; le flegme américain l’avait trop cuirassé, et l’habitude des affaires l’avait rendu trop tranchant. C’était un homme grand, maigre, qui parlait sans gestes et d’un visage tout uni, non par manque d’imagination ou d’émotions, mais par habitude de se contenir et horreur de s’étaler. Sa conversation n’avait rien de littéraire, sauf l’ironie froide. Cependant, comme il aimait