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CHAPITRE SIXIÈME.

poltronnerie intellectuelle, disait l’Edinburgh Review 1, est la seule espèce de lâcheté qui soit commune dans ce pays, mais elle y domine à un degré lamentable. La plupart des écrivains ont des scrupules et des alarmes à propos des tendances de leurs livres. Les pénalités sociales qui sont attachées aux. opinions non orthodoxes sont si sévères et si impitoyablement exercées, que chez nous la critique philosophique et la science elle-même balbutient trop souvent en chuchotements ambigus ce qui devrait être proclamé sur les toits. » Non-seulement le haut vol de l’intelligence est entravé, mais un rigorisme méticuleux gêne, en beaucoup de cas, la parole et même l’action. — M. Guizot conte dans ses Mémoires qu’ayant dit dans une compagnie : « Hell ispaved with yood intentions : L’enfer est pavé de bonnes intentions, » il fut repris par une dame ; le mot enfer est trop grave pour entrer dans la conversation ordinaire. — Certains jurons, par exemple : « Goddem ! Dieu me damne ! » sont monstrueux, et nul entraînement ne les excuse. Ln jeune Français que j’ai connu ici conduisait quelques personnes dans un bateau ; il fait un faux mouvement, l’aviron saute, il tombe à la renverse en lâchant le malencontreux juron. Les irois dames baissent les yeux comme stupéfaites et regardent l’eau attentivement ; un des Anglais rit franchement, mais les deux autres deviennent rouges comme des jeunes filles. — Cette pruderie religieuse conduit souvent à l’hypocrisie. Je sais un gros négociant de Londres, qui vient deux fois par an à Paris pour ses affaires ; il y est fort gai et s’amuse le dimanche

1 Avril 1848.