Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/126

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minérale ; chacune a sa couleur, l’une grise et calcinée comme une cathédrale écroulée dans la flamme, d’autres brunes et rayées par les eaux de longs sillons blancs, les plus lointaines bleues et sereines, les dernières blanchâtres dans la plus glorieuse robe de lumière vaporeuse, toutes tachetées magnifiquement par les ombres de leurs voisines et par les noirceurs mouvantes des nuages, toutes, si diverses qu’elles soient, ennoblies par la lumière veloutée qui les couvre et par la grande coupole céleste dont leur énormité les fait dignes. Nulle cariatide ne vaut ces colosses.

À la cime, sur une esplanade, s’étend le grand couvent carré étageant ses terrasses, assis dans une enceinte de jardins pierreux, et le peuple de sommets nus fait un chœur dont il est le centre.

Au bout d’un long porche en pente, on aperçoit une cour entourée de colonnes. De là, un large escalier élève ses gradins jusqu’à une cour plus haute, munie aussi de ses portiques ; les statues des abbés, des princes, des bienfaiteurs, font autour des murailles une assemblée silencieuse. Au fond s’ouvre l’église ; du portail on suit les rangées de colonnes, la courbe des arcs qui tranchent l’azur, puis au delà, dans la poussière lumineuse du soir, l’ample architecture des montagnes. Pierre et ciel, il n’y a rien d’autre ; cela donne envie d’être moine.

Ma chambre est au bout d’un de ces énormes corridors où l’on se perd ; les deux fenêtres donnent chacune sur un horizon distinct de montagnes. Presque point de meubles ; au milieu, en guise de foyer, brûle un brasero sous des cendres blanches. Aux murs sont pendues de vieilles estampes d’après Luca Signorelli, de