Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/18

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finit par se dire tout bas qu’on a perdu sa soirée : l’entr’acte est plus ennuyeux que la pièce n’est amusante.

Il y a une infinité d’entr’actes en voyage : ce sont les heures vides, celles de la table d’hôte, du coucher, du lever, l’attente aux stations, l’intervalle entre deux visites, les moments de fatigue et de sécheresse. Pendant tout ce temps-là on voit la vie en noir. Je ne sais qu’un remède, c’est d’avoir un crayon et d’écrire des notes…

Prends ceci comme un journal auquel il manque des pages et, de plus, tout personnel. Quand une chose me plaira, je ne prétends pas qu’elle te plaise, encore moins qu’elle plaise aux autres. Le ciel nous préserve des législateurs en matière de beauté, de plaisir et d’émotion ! Ce que chacun sent lui est propre et particulier comme sa nature ; ce que j’éprouverai dépendra de ce que je suis.

À ce propos même, je dois commencer par un petit examen de conscience ; il est prudent de regarder la construction de son instrument avant de s’en servir. Expérience faite, cet instrument, âme ou esprit, éprouve plus de plaisir devant les choses naturelles que devant les œuvres d’art ; rien ne lui semble égal aux montagnes, à la mer, aux forêts et aux fleuves. Dans le reste, la même disposition l’a suivi ; en poésie comme en musique, en architecture ou en peinture, ce qui le touche par excellence, c’est le naturel, l’élan spontané des puissances humaines, quelles qu’elles soient et sous quelque forme qu’elles se manifestent. Pourvu que l’artiste ait un sentiment profond et passionné, et ne songe qu’à l’exprimer tout entier, tel qu’il l’a, sans hésitation, défaillance ou réserve, cela est bien ; dès qu’il est