Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/193

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cation que les autres. Ce que Vasari cite de lui pendant toute sa jeunesse, ce sont des madones, et puis encore des madones. Pérugin, son maître, est un simple fabricant de saints ; il aurait pu mettre ce titre sur son enseigne. Encore les siens sont-ils des saints d’autel, mal affranchis de la pose consacrée : ils ne se remuent guère ; quand il en met quatre ou cinq dans un tableau, chacun d’eux agit comme s’il était seul. Ils sont un objet de dévotion autant qu’une œuvre d’art ; on s’agenouillera devant eux en leur demandant des grâces ; ils ne sont pas encore peints uniquement pour faire plaisir aux yeux. Raphaël passera des années dans cette école, étudiant l’emmanchement d’un bras, le pli d’une étoffe d’or, la forme d’une figure pacifique et recueillie, après quoi il ira à Florence regarder des corps plus amples et des mouvements plus libres. Cette culture si concentrée rassemblera toutes ses facultés sur un seul point ; toutes les aspirations vagues, toutes les rêveries touchantes ou sublimes qui occupent les heures vides d’un homme de génie aboutiront à des contours, à des gestes ; il pensera par des formes comme nous pensons par des phrases.

Il fut très-heureux, noblement heureux , et ce genre de bonheur si rare perce dans toutes ses œuvres. Il n’a point connu les tourments ordinaires des artistes, leurs longues attentes, les souffrances de l’orgueil blessé. Il n’a point subi la pauvreté, ni l’humiliation, ni l’indifférence. À vingt-cinq ans, sans effort, il s’est trouvé le premier parmi les peintres de son temps ; son oncle Bramante lui a épargné les sollicitations et l’intrigue. À la vue de sa première fresque, le pape fit effacer les autres et voulut que toute la décoration des Stanze fût