Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/195

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À présent je puis aller regarder ses œuvres, en premier lieu la Madone de Foligno au Vatican. Ce qui frappe d’abord, c’est la douceur et la pudeur de la Vierge, c’est le geste timide avec lequel elle touche la ceinture bleue de son enfant, c’est l’effet charmant de la bordure dorée de sa robe rouge. Dans toutes ses premières œuvres et dans presque toutes ses madones, il a gardé le souvenir de ce qu’il a senti à Pérouse, auprès d’Assise, au centre des traditions de la piété heureuse et du pur amour. Les jeunes filles qu’il peint sont des communiantes, leur âme n’est pas épanouie ; la religion, en les couvant, a retardé leur éclosion ; avec un corps de femme, elles ont une pensée d’enfant. Pour trouver aujourd’hui des expressions pareilles, il faut voir le visage immobile, innocent, des religieuses qui, élevées dès l’enfance au couvent, n’ont jamais senti le contact du monde. Évidemment il étudie avec amour, avec recherche, avec la délicatesse d’un cœur jeune, la fine courbe du nez, la petitesse de la bouche et de l’oreille, un reflet de lumière sur de doux cheveux blonds. Le sourire épanoui d’un enfant le charme ; cette cuisse enfantine qui vient toucher le ventre se replie si mollement ! Une mère seule peut dire la complaisance tendre avec laquelle les yeux s’attardent sur un pareil plaisir. Le peintre est un autre Pétrarque, un contemplatif qui suit son rêve, et ne se lasse pas de l’exprimer. Sonnet sur sonnet, il en fera cinquante à propos du même visage, et passera des semaines à épurer les vers où il dépose son bonheur silencieux. Il n’a pas besoin de mouvement ni de tapage, il ne cherche pas l’effet, il ne sent pas le contre-coup des événements environnants. Ce n’est point un combattant comme Michel-Ange, un