Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/211

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Une Madeleine du Tintoret, sur une natte de paille, hâve, noirâtre, profondément pénitente, échevelée. Elle pleure et prie. Par le trou de la caverne perce lugubrement le croissant de la lune ; cette échappée du désert et des terreurs de la nuit au-dessus de la misérable femme secouée de sanglots est navrante. Plus on voit Tintoret, plus on lui trouve, en grand, le tempérament de Delacroix, le sentiment de ce qu’il y a de tragique dans le réel, l’impétueuse sympathie ébranlée au contact des choses vivantes, le talent d’exprimer la crudité, la nudité, l’emportement de la vérité et de la passion.




Ces jours-ci, en errant autour du Capitole, je suis entrée à l’académie de San Luca. Il y a peu de galeries aussi belles à Rome.

Deux grands tableaux du Guide. L’un représente la Fortune, une déesse nue qui vole au-dessus de la terre, un diadème à la main. L’autre est, je crois, l’Enlèvement d’Ariane ; la mer toute bleue s’étend à l’infini ; sur un rocher se tient une grande femme blanche ; une autre s’approche d’elle conduisant un beau jeune homme drapé, et près de là une femme couchée fait jouer un petit enfant. Rien de plus facile et de plus élégant ; les peintres de ce temps possèdent tous les types, et celui-ci se complaît dans des réminiscences adoucies et agréables de la beauté grecque. Mais sa peinture n’a pas de substance ; elle est trop blanche ; on y sent une nuance de platitude et de convention comme dans les tragédies du dix-huitième siècle.