Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/23

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Toujours le même ciel tiède et triste. La mer roule lentement, demi-rougeâtre et demi-bleuâtre, avec cette teinte d’ardoise foncée qu’on voit dans les carrières profondes. Parfois le soleil affleure entre les nues, et on voit reluire au loin tout un morceau de mer.

Vers le soir apparaissent des pics neigeux, une longue bordure de montagnes ; puis, de plus près, les âpres flancs bosselés, la côte brune de la Corse. Cela est grand à force de simplicité, mais cette nudité est stérile. On se récite involontairement les vers d’Homère sur « l’Océan infécond, indomptable. » Cette grande eau sauvage n’est bonne à rien ; on ne peut pas l’apprivoiser, la soumettre, l’accommoder aux usages de l’homme.



Civita-Vecchia.


Le bateau s’est arrêté. Tout à coup, dans la clarté grise de l’aube, on aperçoit un môle rond, une ligne crénelée de maisons, des toits plats et rougeâtres nettement tranchés sur la surface tranquille de l’eau. — Vers la pleine mer, un beau navire à voiles avance demi-penché comme un oiseau qui plane. — Rien de plus ; deux ou trois lignes noires sur un fond clair, avec la blancheur et la fraîcheur de la mer et de l’aube. On dirait d’une marine esquissée au crayon par un grand maître.

On entre dans la ville, et l’impression change : une triste ville, mélange de ruelles infectes et de bâtiments administratifs qui ont la platitude et la correction de l’emploi. Quelques-unes de ces ruelles ont cinq pieds de large, et les maisons s’appuient les unes sur les autres