Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/251

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qu’en France règnent les peintres de boudoir, Mengs ici imite la Renaissance et Winckelmann retrouve l’antique. On goûte leurs œuvres et celles des grands maîtres ; les longues attentes d’antichambre, le vide des conversations prudentes, le danger de la gaieté abandonnée, la défiance réciproque, ont augmenté la sensibilité en l’empêchant de s’épancher. Il y a place encore dans l’homme pour les impressions fortes.

Comme ces habitudes et ces sentiments sont loin des nôtres ! Comme la culture raffinée, le partage des fortunes et la police bien entendue ont travaillé parmi nous pour ne laisser d’homme régnant que le bohème, l’ambitieux qui a des nerfs, l’homme de Musset et de Heine !

J’ai poussé à pied deux milles plus loin ; il y a quantité de grandes villas garnies de ruines ridicules qu’on a fabriquées exprès, plusieurs modernisées ; les styles opposés s’y mêlent, ce n’est pas la peine d’y entrer. D’autres maisons plus bourgeoises laissent entrevoir des massifs de palmiers, de cactus, de joncs blancs panachés parmi des fontaines coulantes ; rien de plus original et de plus gracieux. Les auberges les plus pauvres ont dans leur cour quelque grand arbre largement ouvert, une grosse treille qui fait un toit de verdure. On y boit du mauvais vin sucré et jaune ; mais en face s’étendent des paysages à teintes douces bornés par la longue montagne bleuâtre, des verdures naissantes, des têtes blanches d’amandiers, le dessin élégant des arbres bruns ou grisâtres, et le ciel est tout moite de nuées légères.