Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/272

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aimé. Il est tellement sérieux qu’on lui croirait une nuance de tristesse ; la vérité est seulement qu’il est au repos et qu’il a l’âme noble. Plus on regarde Raphaël, plus on sent qu’il avait une âme tendre et généreuse, semblable à celle de Mozart, celle d’un homme de génie qui a déployé son génie sans peine et toujours vécu parmi des formes idéales ; il est resté bon, comme une créature supérieure qui traverserait sans les subir les misères et les bassesses de la vie.

L’autre tableau est le portrait d’une maîtresse du Titien, noble aussi et calme comme une statue grecque ; elle a posé une main sur un écrin, et l’autre main touche ses magnifiques cheveux, qui retombent jusque sur son col. La chemise flotte, blanche et plissée ; une grande draperie rouge s’enroule tordue autour des épaules. Quelle sottise que de comparer les deux peintures et les deux peintres ! Est-ce que le meilleur n’est pas de jouir par eux de tous les aspects de la vie ?

Deux Madeleines du Guide. — Ici on fait la comparaison malgré soi ; on quitte tout de suite cette peinture molle, blanche, qui semble faite sans idée et à la mécanique.

Je trouve qu’un des chefs-d’œuvre de cette galerie, peut-être le plus grand, est la Modestie et la Vanité de Léonard de Vinci[1] ; ce ne sont que deux figures de femmes dans un fond sombre. Ici, et comme par contraste, ce qu’il y a d’idées est incroyable. Cet homme

  1. Quelques personnes l’attribuent à Luini, le meilleur élève et le plus exact imitateur de Léonard. Peut-être Léonard a-t-il fourni une esquisse ou ajouté des retouches. Mais la puissance de l’expression et des ombres sont dignes de lui, et je crois le tableau de sa main.