Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/277

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à pleine poitrine n’est qu’un simple animal. Une sainte Agnès n’est qu’une bonne petite fille un peu boudeuse, bien enfant, bien exempte de toute idée mystique. Dans son Sacrifice d’Abraham, le pauvre Isaac crie comme un petit garçon qui vient de se couper le doigt. Titien ose presque autant que Rubens montrer dans l’homme le tempérament, les passions de la chair et du sang, les instincts libres et bas, toute la vie brutale du corps ; mais il ne la lâche pas, il maintient la chair débordante dans les contours d’une forme harmonieuse : chez lui, la volupté ne va pas sans la noblesse. Son bonheur n’est pas le simple assouvissement des sens, c’est en outre le contentement des instincts poétiques ; il ne se réduit pas à des kermesses, il veut des fêtes, non pas des fêtes de rustres, mais des fêtes d’épicuriens et de grands seigneurs. L’instinct chez de pareilles gens peut être aussi fort, aussi débordé que dans le peuple, mais il est accompagné d’un autre esprit et ne se satisfait pas à si peu de frais ; ce qu’il demande, ce ne sont pas des navets dans une écuelle, mais des oranges sur un plat d’or. On ne peut imaginer une couleur plus franche et plus saine que celle de ses Trois Âges de l’homme, un corps plus florissant et plus frais que sa superbe femme blonde ; sa robe est rouge, et les manches de sa blanche chemise retroussées avec de gros bourrelets aux épaules laissent voir la blancheur ferme de ses admirables bras ; elle a le regard sérieux et calme. Nous ne savons plus faire la beauté qui pourrait provoquer et ne provoque pas.

Plusieurs tableaux de l’école bolonaise sont tous du même caractère. L’un est du Guerchin, très-poussé au noir, et représente Herminie qui rencontre Tancrède