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Rome.


J’avais une journée, j’ai voulu voir le Colisée et Saint-Pierre. Certainement il est imprudent de noter ici ses premières impressions, telles qu’on les a ; mais, puisqu’on les a, pourquoi ne pas les noter ? Un voyageur doit se traiter comme un thermomètre, et à tort ou à raison, c’est ce que je ferai demain comme aujourd’hui.

Au Colisée d’abord. Tout ce que j’ai vu de la calèche était rebutant : des ruelles infectes pavoisées de linge sale ou de linge qui sèche, de vieilles bâtisses suintantes, noirâtres, tachées d’infiltrations graisseuses, des tas d’ordures, des échoppes, des guenilles, tout cela sous une petite pluie. Les ruines, les églises, les palais qu’on aperçoit sur le chemin, tout l’ancien appareil me semblait un habit brodé il y a deux siècles, mais vieux de deux siècles, c’est-à-dire dédoré, flétri, troué et peuplé d’une vermine humaine.

Le Colisée apparaît, et l’on est subitement secoué. On l’est véritablement : cela est grand, on n’imagine rien de plus grand. Personne dans l’intérieur ; un profond silence ; rien que des blocs de pierre, des herbes pendantes, et de temps en temps un cri d’oiseau ; on est content de ne pas parler, et on demeure immobile ; les yeux montent, et redescendent, et remontent sur les trois étages de voûtes et sur l’énorme mur qui les domine ; puis on se dit que c’était là un cirque, qu’il y avait sur ces gradins cent sept mille spectateurs, que tout cela criait, applaudissait, menaçait à la fois, que cinq mille bêtes étaient tuées, que dix mille captifs