Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/299

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que toutes les vieilles cathédrales, dans cette célèbre chaire de Sainte-Gudule, véritable jardin, où l’on a mis des treillages, des feuillages, un paon, un aigle, toute sorte de bêtes, toute la ménagerie du paradis, Adam et Ève vêtus décemment, l’ange, qui veut être en colère, et qui a l’air riant. Toute chose jésuitique porte ainsi un air riant et de commande, réveille des idées de commodité et d’agrément : par exemple, au-dessus de la tête du prédicateur, un ciel de lit en nuages pareil à une alcôve ; plus haut encore, la Madone, une jeune demoiselle svelte et gracieuse, prête pour le bal, aux jolis bras minces. Le commentaire de ces décorations est l’Imago primi sæculi, superbe livre illustré qui est comme le manifeste du goût jésuitique. On y voit le jésuite en nourrice berçant le divin poupon, ou bien encore le jésuite pêcheur prenant des âmes au filet ; plus bas, des vers latins et des vers français en style de collège. Ce ne sont que gentillesses mignardes, jeux de mots précieux, agréments de bel esprit, doucereuses fadeurs, bref tous les bonbons de la confiserie dévote.

S’ils ont fabriqué des bonbons, c’est avec génie ; la preuve est qu’ils ont reconquis de cette façon la moitié de l’Europe, et s’ils y sont parvenus, c’est qu’ils ont trouvé une des idées capitales de leur temps. À ce moment, le catholicisme devait pour subsister faire une volte-face ; c’est par eux qu’il l’a faite. Après la glorieuse et universelle renaissance, au milieu de ces industries, de ces arts, de ces sciences nouvelles qui abritaient, embellissaient, élargissaient la vie humaine, la religion ascétique du moyen âge ne pouvait plus durer. On ne pouvait plus regarder le monde comme un cachot, ni l’homme comme un ver de terre, ni la nature