Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/301

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des conciles et des pères, inventa la direction indulgente, la morale relâchée, la casuistique accommodante, la dévotion facile, et par le plus adroit maniement des distinctions, des restrictions, des interprétations, des probabilités et de toutes les broussailles théologiques, parvint, de ses mains souples, à rendre à l’homme la liberté du plaisir. « Amusez-vous, soyez jeunes ; seulement venez de temps en temps me conter vos affaires. Croyez en outre que je vous rendrai bien des petits services, »

Mais pour relâcher un frein il fallait en serrer un autre. Contre les dérèglements des instincts à demi-déchaînés, le protestant avait trouvé une digue dans l’éveil de la conscience, dans l’appel à la raison, dans le développement de l’action ordonnée et laborieuse. Le jésuite en chercha une dans la direction méthodique et mécanique de l’imagination. C’est là son coup de génie ; il a découvert dans la nature humaine une couche inconnue et profonde qui sert de support à toutes les autres, et qui, une fois inclinée, communique son inclinaison au reste, en sorte que dorénavant tout roule sur la pente ainsi pratiquée. Notre fond intime n’est pas la raison ni le raisonnement, mais les images. Les figures sensibles des choses, une fois transportées dans notre cerveau, s’y ordonnent, s’y répètent, s’y enfoncent avec des affinités et des adhérences involontaires ; quand ensuite nous agissons, c’est dans le sens et par l’impulsion des forces ainsi produites, et notre volonté sort tout entière, comme une végétation visible, des semences invisibles que la fermentation intérieure a fait germer sans notre concours. Quiconque est maître de la cave obscure où l’opération s’accomplit est maître de l’homme ; il n’a qu’à semer les graines, à gouverner la pousse