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l’eau, ces statuettes, ce grand horizon en face de cette salle d’été, servent de distractions et reposent l’esprit fatigué par les affaires. Un jour on y ajoute un groupe, un autre jour on abat ou on plante un massif ; le plaisir de bâtir est le seul qui reste à un prince, surtout à un prince âgé, ennuyé par les cérémonies.



20 mars, Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean-de-Latran.


Mes amis me disent qu’il faut s’abandonner davantage, goûter les choses en elles-mêmes, ne plus songer à leur origine, laisser là l’histoire. Fort bien aujourd’hui, ils ont raison, mais c’est qu’il fait beau.

Ces jours-là on va au hasard devant soi dans les rues, et on regarde là-haut l’admirable azur. Pas un nuage au ciel. Le soleil y luit en triomphe, et le dôme bleu, immaculé, tout rayonnant d’illuminations matinales, semble rendre à la vieille ville ses journées de fête et de faste. Les murs et les toits tranchent avec une force extraordinaire dans l’air limpide. À perte de vue, on suit l’arcade du ciel serrée entre les deux files de maisons. On avance sans y penser, et on trouve à chaque tournant des décorations d’opéra toutes fraîches : — un énorme palais massif étayé sur ses bossages, — une rue en pente qui s’abaisse et se redresse jusqu’à un obélisque lointain, et qui, frappée en travers par le soleil, enveloppe ses personnages, comme ferait un tableau, dans une alternative d’ombre et de lumière ; — un ancien palais démantelé, dont on a fait un magasin, où des dragons rouges dorment contre un mur grisâtre,