Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/346

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tableaux, bâiller, tourner, attendre. Viennent deux ou trois habitués, toujours les mêmes, apportant des commérages ; Rome à cet égard est tout à fait une ville de province. On s’enquiert d’un domestique renvoyé, d’un meuble acheté, d’une visite trop tard ou trop tôt rendue ; incessamment le ménage et la vie intime sont percés à jour ; nul ne jouit du grand incognito de Londres ou de Paris. Quelques-uns s'intéressent à la musique ou à l’archéologie ; on parle des fouilles récentes, et l’imagination, les affirmations se donnent carrière : c’est la seule étude demi-vivante ; le reste est languissant ou mort ; les journaux et les revues étrangères n’arrivent pas ou sont arrêtés une fois sur deux, et les livres modernes manquent. Ils ne peuvent pas causer de leur carrière, ils n’en ont pas ; la diplomatie et les hauts emplois sont aux prêtres, et l’armée est étrangère. Reste l’agriculture : plusieurs s’y adonnent, mais indirectement ; ils louent aux paysans par l’intermédiaire des mercanti di campagna ; ceux-ci ordinairement sous-louent aux possesseurs de troupeaux napolitains qui viennent ici passer l’hiver et le printemps. La terre est fort bonne, l’herbe très-abondante. Tel mercante sous-loue 25 écus pour six mois ce qu’il a loué 11 écus pour l’année : il ramasse encore à peu près 5 écus sur les foins, et gagne ainsi 3 pour 1 ; on peut compter qu’en moyenne ils gagnent 2 pour 1 ; aussi font-ils de grandes fortunes. Quelques-uns se ruinent pour trop entreprendre : ils achètent et engraissent des bestiaux, et l’épidémie se jette en travers ; mais les autres, enrichis, sont les chefs de la bourgeoisie, s’habillent bien, commencent à raisonner, sont libéraux, souhaitent une révolution qui les mette à la tête des affaires, surtout des