Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/35

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de marbres de prix, trop de bronzes, d’ornements, de caissons et de médaillons. À mon gré, toute œuvre architecturale ou autre doit être comme un cri, comme une parole sincère, l’extrémité et le complément d’une sensation, rien d’autre : par exemple, tel Titien ou tel Véronèse fait pour occuper voluptueusement et magnifiquement les yeux pendant un festin d’apparat ou une représentation officielle, ou bien encore un intérieur de vraie cathédrale gothique, celle de Strasbourg avec son énorme nerf noirâtre traversée de pourpre ténébreuse, avec ses files de piliers muets, avec sa crypte sépulcrale engloutie dans l’ombre, avec ses rosaces lumineuses qui, parmi toutes ces terreurs chrétiennes, semblent une percée sur le paradis.

Au contraire, il n’y a pas de sensation franche et simple qui aboutisse à cette église ; c’est une combinaison, comme notre Louvre. On s’est dit : « Faisons la plus magnifique et la plus imposante décoration qu’il se pourra. » Bramante a pris les grandes voûtes du palais de Constantin, Michel-Ange le dôme du Panthéon, et de ces deux idées païennes, agrandies l’une par l’autre, ils ont tiré un temple chrétien.

Ces voûtes, cette coupole, ces puissantes courbures, tout cet appareil est magnifique et grand. Et pourtant il n’y a en somme que deux architectures, la grecque et la gothique ; les autres en sont des transformations, des déformations ou des amplifications.

Les gens qui ont fait Saint-Pierre étaient des païens qui avaient peur d’être damnés, rien de plus. Ce qu’il y a de sublime dans la religion, l’effusion tendre devant un Sauveur compatissant, l’effroi de la conscience devant le juste juge, l’enthousiasme lyrique et viril de l’Hébreu