Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/351

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ments de figures. On lui montrait des esquisses, on crayonnait devant lui ; un pareil homme, si libéral et si amateur du beau, était fait pour comprendre de pareilles âmes. Maintenant il reste une sorte de grenier ; les ferrures du balcon sont à demi descellées, les caissons sont tombés, les piliers de la cour ont perdu leur stuc, et montrent leur cailloutis entamé de briqueterie rouge ; seules les colonnes de la loggia allongent encore leurs beaux fûts de marbre blanc. Deux ou trois peintres viennent au printemps se nicher dans cette ruine.

La poussière tourbillonne, et le soleil chauffe péniblement la coupole grise des nuages ; le ciel semble d’étain ; le sirocco, énervant, fiévreux, souffle par rafales. Le Ponte Molle apparaît entre ses quatre statues ; derrière est une pauvre auberge, et aussitôt après commence le désert. Rien d’étrange comme ces quatre statues lézardées, qui se profilent sur le grand vide morne et font l’entrée du tombeau d’un peuple. Des deux côtés, le Tibre se traîne et tournoie, jaunâtre et visqueux comme un serpent malade. Pas un arbre sur ses bords, plus de maisons, plus de cultures. De loin en loin, on découvre un môle de briques, un débris branlant sous sa chevelure de plantes, et sur une pente, dans un creux, un troupeau silencieux, des buffles aux longues cornes qui ruminent. Des arbustes, de mauvaises plantes rabougries s’abritent dans les enfoncements des collines ; les fenouils suspendent au flanc des escarpements leur panache de délicate verdure ; mais nulle part on ne voit d’arbre véritable, c’est là le trait lugubre. Des lits de torrents sillonnent de leurs blancheurs blafardes le vert uniforme ; les eaux inutiles s’y