Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/360

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Tibre, ils voient un homme du peuple qui veut noyer un chien ; ils l’en empêchent, et les coups de poing commencent. L’homme crie au secours, les gens du quartier arrivent : un apprenti enfonce son couteau par derrière dans le corps du premier soldat français, qui tombe sans faire un mouvement. Ce soldat avait une force et une structure d’Hercule ; mais le coup avait été si juste que le cœur était traversé. — Deux autres soldats dans la campagne entrent dans un enclos, volent des figues, se sauvent ; le propriétaire, ne pouvant les attraper, leur tire deux coups de fusil, tue l’un, casse la jambe à l’autre. — Ce sont de vrais sauvages ; ils croient pouvoir à toute occasion rentrer dans le droit de guerre et en user jusqu’au bout.

Notre ami N… a essayé dans sou village d’abolir quelques pratiques cruelles. On y tue un bœuf ou une vache par semaine ; mais, avant d’expédier la malheureuse bête, on la livre aux enfants, aux jeunes gens, qui lui crèvent les yeux, lui mettent le feu sous le ventre, lui coupent les lèvres, la déchiquètent et la martyrisent : c’est pour se donner le plaisir de la voir furieuse ; ils aiment les émotions fortes. N… tâche de les dissuader, va trouver le curé, s’adresse à tout le monde. Pour les prendre au vif, il leur donnait des raisons positives : « La viande, ainsi échauffée, ne sera pas bonne. — Qu’est-ce que cela nous fait ? Nous sommes trop pauvres, nous n’en mangeons pas. » — Un jour, il rencontre un paysan qui rouait son âne de coups ; il lui dit : « Laisse donc tranquille cette pauvre bête. » Le paysan répond avec le scherzo, l’âpre et dure plaisanterie romaine : « Je ne savais pas que mon âne eût des parents dans ce village. » — Ce sont là les