Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/400

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tinue d’être ce qu’elle est depuis soixante ans et ce qu’elle semble être par essence, une caserne administrative exempte de vol et bien tenue, le catholicisme peut y subsister indéfiniment.

La seconde force active est le mysticisme. Par Jésus et la Vierge, par la théorie et les sacrements de l’amour, le catholicisme offre un aliment aux imaginations tendres et rêveuses, aux âmes malheureuses ou passionnées. C’est de ce côté seulement qu’il se développe depuis deux siècles, par le culte de la Vierge et du Sacré-Cœur, tout récemment par la proclamation du dernier dogme, celui de l’immaculée conception. Les bénédictins de Solesmes, qui ont édité saint Liguori, font sur ce point des aveux frappants[1]. Ils disent que l’ancienne théologie était dure, que l’Église a reçu des clartés nouvelles, que, par une révélation spéciale, elle

  1. Préface de l’édition complète, t. Ier, 1834. Saint Liguori « est un anneau nécessaire qui prolonge jusqu’à nos temps cette chaîne merveilleuse au moyen de laquelle depuis trois siècles la terre s’est rapprochée du ciel… Le Christ confie à son église de nouveaux secrets, il l’initie de jour en jour aux incommensurables mystères de son cœur… Une onction inconnue aux premiers siècles de notre foi a pénétré le cœur des amis de Dieu… Le culte de l’épouse est devenu plus tendre, de nouvelles amabilités de l’époux lui ont été révélées… Chez les catholiques, le mystère de l’eucharistie est à lui seul toute une religion ; c’est surtout depuis les six derniers siècles que cette religion du corps de Jésus-Christ a reçu un nouveau développement… Les prérogatives de Marie, cette incomparable vierge, nous ont été montrées sous un jour nouveau… Héritiers de l’amour, nous qui la voyons s’interposer comme un doux nuage et tempérer délicieusement l’éclat des rayons du soleil dont elle fut l’aurore, nous la proclamons médiatrice toute-puissante du genre humain… Symbolisé dans un cœur, le christianisme a pu tirer les dernières conséquences de la loi de grâce sur lesquelles il est fondé… Dans cet âge de miséricorde, les préceptes du Seigneur n’ont dû être pour ainsi dire que les lois organiques de l’amour… L’affreux jansénisme parut avec sa morale dure comme ses dogmes et ses dogmes repoussants comme sa morale. »