Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/60

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un sable aussi doux qu’elle, puis elle s’en va avec un bruissement monotone.

Une teinte uniforme d’un bleu pâle et comme effacé occupe l’espace immense, tout le ciel et toute la mer. Ciel et mer, tous les deux se confondent ; parfois il semble que les petites barques noires soient des oiseaux qui planent dans l’air. Il n’y a point de bruit ; à peine si l’on entend le chuchotement léger des vagues. Les douces nuances de l’ardoise qui pleure dans les creux humides donnent seules l’idée de cette couleur effacée. On se récite tout bas les vers de Virgile, on pense à ces contrées silencieuses où descend la Sibylle, royaumes où flottent les ombres, non pas froids et lugubres comme la contrée cimmérienne d’Homère, mais où la vie évaporée et vague repose, attendant que la force du soleil la concentre et la renvoie couler éclatante dans le torrent de l’être, ou bien encore à ces plages endormies où sont les âmes futures, peuplades bourdonnantes et vaporeuses qui voltigent indistinctes comme des abeilles autour du calice des fleurs. Nisida, Ischia dans le lointain, le cap Misène, ne ressemblent point à des êtres réels, mais à des ombres nobles sur le point d’arriver à la vie. Plus loin, dans toute la campagne, les troncs blancs des platanes, les verdures adoucies par l’hiver et la brume, les tiges minces des roseaux, l’eau immobile du lac Averne, les contours douteux des montagnes, tout le paysage alangui et muet semble se reposer de l’être, dormir, non pas écrasé et roidi par la mort, mais enveloppé doucement dans une paix bienfaisante et monotone. C’est de cette façon que les anciens ont conçu l’au delà, l’extinction de la vie ; leurs tombeaux ne sont point lugubres ; le mort y repose et n’est point