Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/70

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raît pas servile. Ulysse lui-même, avec des haches et des tarières, a coupé et travaillé le tronc d’olivier qui sert d’assise à son lit de noces ; les jeunes chefs qui veulent épouser sa femme dépècent et cuisent eux-mêmes les porcs et les moutons qu’ils mangent. Et les sentiments sont aussi naturels que les mœurs ; l’homme ne se contraint pas, il n’est pas tendu tout d’un côté par l’héroïsme farouche comme en Germanie, par la superstition maladive comme dans l’Inde ; il n’a pas honte d’avoir peur quelquefois et de le dire, d’être attendri et de pleurer ; les déesses aiment les héros, et s’offrent à eux sans rougeur, comme une fleur s’incline vers la fleur voisine qui doit la rendre féconde. Le désir semble aussi beau que la pudeur, la vengeance que le pardon ; l’homme s’épanouit tout entier, harmonieusement et avec aisance, comme ces platanes, ces orangers nourris par la fraîcheur de la mer, par l’air tiède des gorges, et qui étalent la rondeur de leurs dômes, sans qu’aucune main les élague, ni qu’aucune intempérie force la séve à se retirer d’un de leurs bourgeons. Du milieu de tous ces récits, parmi les images des forêts et des eaux qu’on vient de traverser, on voit se dégager vaguement les corps des héros antiques, cet Ulysse tel qu’il sortait du fleuve, « plus grand de taille et plus large d’épaules » que les autres hommes, « les boucles de ses cheveux retombant sur son col et semblables à la fleur de l’hyacinthe, » ou bien à côté de lui les jeunes filles qui, ôtant leur voile, jouent sur la rive du fleuve, et parmi elles Nausicaa, « la vierge indomptée, plus grande qu’elles de toute la tête. »

Puis ceci n’a plus suffi, et il m’a semblé que pour exprimer ce ciel, cette profondeur blanche et lumineuse