Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/82

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un acte de vanité : autrefois point. Le Grec qui était de loisir et s’appuyait sur une colonne de la palestre pour regarder des jeunes gens ou écouter un philosophe, se posait bien, d’abord parce qu’il avait acquis le plein usage de ses membres, et ensuite par fierté aristocratique. La belle prestance, l’apparence noble et sérieuse dont parlent les philosophes, sont essentielles dans une société noble, parmi des hommes qui ont des esclaves, qui font la guerre et discutent les lois ; ils n’ont pas besoin de les chercher, elles ont leur source naturelle et continue dans la conscience que l’homme a de son importance et de son courage, de son indépendance et de sa dignité. Voyez aujourd’hui la belle tenue des jeunes lords intelligents d’Angleterre, des gens bien élevés dans les grandes familles françaises ; mais le monde fait le jeune Anglais trop roide, et le jeune Français trop abandonné : alors il faisait l’adolescent dispos et calme. On a quelque idée de cette aisance lorsqu’on voit Platon opposer aux tracas de l’homme d’affaires, à ses ruses, à ses criailleries, à toutes ses habitudes d’esclave, le laisser-aller de l’homme libre qui discute sans se presser, et seulement sur des questions générales, qui quitte ou reprend le raisonnement selon sa commodité, « qui sait relever son vêtement d’une façon décente, et qui, d’un tact sûr, ordonnant l’harmonie des discours philosophiques, célèbre la véritable vie des dieux et des hommes heureux. »

On marche seul dans les salles silencieuses, et au bout de quelques heures on sent approcher l’illusion ; tant de traces du passé le rendent en quelque sorte présent et sensible. Surtout ce peuple de statues blanches dans l’air gris et froid comme celui d’une galerie souter-