Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles vous engagent à supporter la vie avec fermeté, courage et sang-froid, avec la hauteur calme d’une âme supérieure. — On ne peut pas les énumérer tous, ni les décrire l’un après l’autre ; tout ce que je sens, c’est que la sculpture est de tous les arts le plus grec, parce qu’elle montre le type pur, la personne physique abstraite, le corps en lui-même, tel que l’ont formé la belle race et la vie gymnastique, et parce qu’elle le montre sans l’engager dans un groupe, sans le soumettre à l’expression et aux agitations morales, sans que rien vienne distraire de lui l’attention, avant que les passions de l’âme l’aient déformé ou se soient subordonné son action ; c’est ici pour les Grecs l’homme idéal, tel que leur société et leur morale aspirent à le former. Sa nudité n’est point indécente ; elle est pour eux le trait distinctif, la prérogative de leur race, la condition de leur culture, l’accompagnement des grandes cérémonies nationales et religieuses. Aux jeux Olympiques, les athlètes sont sans vêtement ; Sophocle, à quinze ans, se dépouille pour entonner le Péan après la victoire de Salamine. Aujourd’hui nous ne faisons des nudités que par pédanterie ou par polissonnerie ; chez eux, c’était pour exprimer leur conception intime et primitive de la nature humaine. Cette glorieuse conception les suit jusque dans leur débauche. Dans les peintures des mauvais lieux, aux lupanars de Pompéi, les corps sont grands, sains, sans fadeur voluptueuse ni mollesse engageante ; l’amour n’y est point une infamie des sens ni une extase de l’âme : c’est une fonction. Entre la brute et le dieu, que le christianisme oppose l’un à l’autre, ils ont trouvé l’homme, qui les concilie l’un avec l’autre. Voilà pourquoi ils le peignaient et surtout le sculptaient.