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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/29

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temps, et jusqu’au cœur de la Florence païenne, répéter et purifier des figures si religieuses, peindre, gratuitement ou pour obtenir des prières, l’oratoire d’une confrérie située vis-à-vis de sa maison, peindre et garder chez lui quatorze bannières pour les prêter aux processions, vivre et se développer dans les couvents de la pieuse Ombrie[1]. Il est inventeur dans la peinture sacrée, et un homme n’invente que d’après son propre cœur. Ce n’est pas non plus pousser trop loin les conjectures que de le représenter à Florence comme un admirateur de Savonarole. Savonarole est prieur du couvent qu’il décore ; Savonarole fait brûler les peintures païennes et emporte tout d’un coup Florence jusqu’au bout de l’enthousiasme ascétique et chrétien. Les premières paroles d’un sermon de Savonarole sont sur un papier dans la main du portrait que Pérugin fait alors de lui-même, et il achète un terrain pour se bâtir une maison dans la cité du réformateur. Tout d’un coup la scène change : Savonarole est brûlé vif, et il semble à ses disciples que la Providence, la justice et la puissance divine se soient englouties dans son tombeau. Plusieurs d’entre eux ont gardé jusqu’au bout dans leurs souvenirs, toute corporelle et toute colorée, l’image du martyr trahi, torturé et insulté sur son bûcher par ceux dont il faisait le salut. Est-ce cette grande secousse, jointe aux enseignements épicuriens de Florence, qui a renversé les croyances du Pérugin ? Toujours est-il qu’au retour il n’est plus le même. Sa figure, ironiquement défiante, porte les marques de la concentration et de l’affaissement. Ses œuvres religieuses sont moins

  1. Rio, Histoire de l’Art chrétien, t. II, p. 218.