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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/135

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vouloit qu’elle fût beaucoup plus vieille qu’elle n’étoit. Cela venoit de ce qu’elle avoit fait du bruit de bonne heure.


VOITURE

Voiture étoit fils d’un marchand de vin, suivant la cour. Il faisoit son possible pour cacher sa naissance à ceux qui n’en étoient pas instruits. Un jour, se trouvant dans une grosse compagnie, où il faisoit le récit d’une aventure plaisante, madame des Loges, contre laquelle il avoit parlé sans la connoître, cherchant à le piquer, lui dit : « Monsieur, vous nous avez déjà dit cela d’autres fois ; tirez-nous du nouveau. » Son père étoit un grand joueur de piquet. On dit encore aujourd’hui qu’on a le carré de Voiture, quand on a soixante-dix de point, marqués par quatre jetons en carré, parce que ce bonhomme croyoit gagner quand il avoit ce carré. Voiture fut bien un autre joueur que son père.

Voiture étoit petit, mais bien fait, il s’habilloit bien. Il avoit la mine naïve, pour ne pas dire niaise, et vous eussiez dit qu’il se moquoit des gens en leur parlant. Je ne l’ai pas trouvé trop civil, et il m’a semblé prendre son avantage en toute chose. C’étoit le plus coquet des humains. Ses passions dominantes étoient l’amour et le jeu, mais le jeu plus que l’amour. Il jouoit avec tant d’ardeur qu’il falloit qu’il changeât de chemise toutes les fois qu’il sortoit du jeu. Quand il n’étoit pas avec ses gens, il ne parloit presque pas. D’Ablancourt ayant demandé à madame Saintot, du temps qu’elle n’extravaguoit pas, ce qu’elle trouvoit de si charmant à cet homme qui ne disoit rien : « Ah ! répondit-elle, qu’il est agréable parmi les femmes, quand il veut ! » Même avec ceux à qui il vouloit plaire, il avoit de grandes iné