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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/238

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Comme il étoit adroit de la main, il s’adonna à des tours d’adresse, comme de faire tenir une pistole dans la fente d’une poutre, et autres choses semblables. Il y gagna beaucoup, mais son plus grand butin fut dans ce commencement une fourberie. Il trouva un inconnu, nommé Dalichon, qui jouoit fort bien à la paume ; lui y jouoit fort bien aussi : il ne faisoit pourtant que seconder ; mais c’étoit un des meilleurs seconds de France. Il fait acheter des pourceaux, des bœufs, des vaches à cet homme, et fait courir le bruit que c’étoit un riche marchand de bestiaux, à qui on pouvoit gagner bien de l’argent ; que cet homme aimoit la paume : on y jouoit fort en ce temps-là. Souscarrière, c’est le nom d’une maison qu’il acheta, dès qu’il eut du bien, faisoit des parties contre cet homme, qui faisoit l’Allemand, et découvroit insensiblement son jeu. Notre galant trahissoit ceux qui étoient de son côté, et quand il parioit contre Dalichon, Dalichon se laissoit perdre, et faisoit perdre ceux qui étoient de son côté, ou qui parioient pour lui ; et avant que la fourbe fût découverte, on dit que le marchand de bestiaux, à qui Souscarrière savoit que donner, gagna plus de cent mille écus. Comme il eut un grand fonds, le petit La Lande (1), qui le connoissoit, étant du même métier, car il avoit appris à jouera la paume au feu Roi, lui dit un jour :

[ (1) Ce petit homme étoit une espèce de m… et d’escroc. On a dit de lui dans un vaudeville :

M…et franc cocu, Lanturlu,

Ses deux filles sont du métier. Ce qu’il y a d’extraordinaire en cet homme, c’est qu’il étoit aussi franc athée qu’on en ait jamais vu : à sa mort, il ne se vouloit point confesser. M. de Chavigny, qu’il appeloit Eumènes, y alla pour le persuader à se confesser. « Bien, lui dit-il, Eumènes, je le ferai pour l’amour de vous, et à condition que le grand protrotosne (il nommoit ainsi le cardinal de Richelieu) croira que je meurs son serviteur. » Sa femme lui dit : « Si vous ne vous confessez pas, nous voilà ruinés ; on ne nous paiera plus notre pension. » Il se confessa donc, et en se confessant, il disoit à sa femme : « Voyez, ma mie, ce que je fais pour vous. » (T.) ]