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la Reine lui voudroit faire cet honneur, elle lui en seroit obligée. Il continua donc ; eux, enragés de cela, le firent appeler en duel par le plus petit d’entre eux. Ils eurent tous deux le fouet en diable et demi, car ils se vouloient aller battre. Ce petit garçon fut délégué par ses camarades pour demander à la Reine qu’on leur donnât deux petites oies[1] au lieu d’une, car l’argentier leur en retranchoit une de deux qu’ils devoient avoir. « Oui, dit la Reine ; mais, étant fils de M. de Racan, vous ne l’aurez point que vous ne me la demandiez en vers. » Tout le monde veut que ses enfants soient poètes, et il ne sauroit faire qu’on les appelle autrement que Racan tout court. Le père fit pour son fils ce madrigal, mais il ne le fit pas de toute sa force :

MADRIGAL.

Reine, si les destins, mes vœux et mon bonheur
Vous donnent les premiers des ans de ma jeunesse,
Vous dois-je pas offrir cette première fleur
Que ma muse a cueillie aux rives du Permesse ?
Si mon père, en naissant, m’avoit pu faire don
De son esprit poétique, ainsi que de son nom,
Qui l’a rendu vainqueur du temps et de l’envie,
Je pourrois dans mes vers donner l’éternité
  À Votre Majesté
  Qui me donne la vie.

Étant à Paris pour un procès, il s’ennuyoit quelque-

  1. Petite oie, se disoit figurément des rubans et garnitures qui rendoient un habillement complet ; elle consistoit dans les rubans pour garnir l’habit, le chapeau, le nœud d’épée, les bas, les gants. (Dict. de Trévoux.)