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Quand ses gens demandoient leurs gages, il leur disoit : « C’est à vous à vous pourvoir : quatre rues aboutissent à l’hôtel d’Angoulême[1], vous êtes en beau lieu ; profitez-en si vous voulez. »

Après avoir été veuf quelque temps, il voulut épouser madame d’Hautefort, qui a depuis épousé M. de Schomberg ; elle n’en voulut point. Il trouva pourtant à se marier à quelques années de là. Il avoit soixante-dix ans, étoit tout courbé et tout estropié de goutte. En ce bel état il épousa une fille de vingt ans, bien faite et bien agréable ; son père s’appeloit Nargonne : c’étoit un gentilhomme de Champagne. Il ne jouit guère de la grandeur de sa fille, car allant au bois de Vincennes avec elle, les chevaux emportèrent le cocher, et cet homme, brutalement, sans considérer qu’ils étoient du côté des murs du parc, et qu’il ne pouvoit s’élancer assez loin, s’élança pourtant et tomba de sorte, entre les roues, qu’il en fut tout brisé, et expira aussitôt.

Cette pauvre femme étoit obligée de souffrir presque tout l’été un grand feu à son dos, car le duc vouloit qu’elle fût toujours auprès de lui. Cela lui avoit tellement échauffé le sang, qu’elle avoit toujours un érysipèle aux oreilles.

Quand il mourut, en 1650, le gazetier, Renaudot le fils, rapporta qu’il étoit mort chrétiennement, comme il avoit vécu. M. le comte d’Alais, ou plutôt madame, traita fort rudement sa veuve. Elle se retira

  1. L’hôtel d’Angoulême, situé rue Pavée, au Marais, s’appelle aujourd’hui l’hôtel de Lamoignon, parce qu’il a appartenu sous Louis XIV aux célèbres magistrats de ce nom.