Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/209

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aise. Je dirai en passant, à propos de cela, que sur ses vieux jours elle disoit, pour faire accroire aux gens qu’elle voyoit fort bien : « J’ai fait venir Thévenin[1], il m’a dit qu’il n’y avoit rien à faire à mes yeux. » Thévenin disoit vrai, car elle n’étoit plus bonne qu’à envoyer aux Quinze-Vingts. En récompense, elle étoit toujours fort proprement et fort parée. Pour la cour, on s’y moqua toujours d’elle. Son mari ne laissa pas d’en prendre du soupçon, car une jeune femme trouve facilement des galants, et une vicomtesse n’en chôme pas à Paris. Il la mena donc à la campagne et l’y tint durant dix ans comme prisonnière, et s’il eût vécu davantage, elle y fût demeurée davantage aussi, car il avoit bonne intention de la tenir là toute sa vie. Voyez quelle délivrance ! la voilà en pleine liberté encore jeune.

Comme elle étoit fort vaine, tous les auteurs et principalement les poètes étoient reçus à lui en conter. Lingendes fit des vers sur sa voix[2], mais il ne faut prendre cela que poétiquement, car elle n’a jamais eu la réputation de bien chanter. Malherbe, nouvellement arrivé à la cour, comme le maître de tous, étoit le mieux avec elle. J’ai dit dans son Historiette comment il la traita un jour, et comme il se raccommoda avec elle[3]. Après ces dix ans de prison et tout ce que je viens de dire, ne trouvez-vous pas que c’étoit avec

  1. Oculiste du temps.
  2. Cette pièce, composée de cinq stances, se trouve dans le Recueil intitulé : le Séjour des Muses, ou la Cresme des bons vers, Rouen, 1626, in-12, pag. 57. Elle existe aussi dans le Recueil de Toussaint Du Bray, 1609, pag. 367.
  3. Voyez précédemment, pag. 188 de ce volume.